LE RETOUR EIFFEL

Publié le par Au Terminus des Pretentieux

L’hiver est fini. Notre chroniqueur musical sort de six mois d’hibernation du fond de son placard, à peine entrecoupés d’un vote utile en mars dernier. Sentant bon la naphtaline et le pastis de contrebande, les yeux pleins de polochons, il a remis de l’huile dans sa platine laser un brin rouillée. Et a écouté l’album d’Eiffel à fond les potars. Les voisins ont fini de rire.

Cher Romain Humeau,

Chapi-Chapo ça vous dit quelque chose ? Outre ses papiers trempés dans une plume souvent acerbe qu’il distille sur ce blog et dans lesquels il s’obstine ( lui aussi ! ) contre vents et marées à pourfendre l’industrie du disque avec une hargne qui ferait passer Don Quichotte pour Chantal Goya, le larron officie sur une radio locale de la Bresse libre au sein de laquelle cependant, précisons-le, il n’a pas éprouvé le besoin de recourir à un pseudonyme empreint d’une nostalgie qui m’inciterait presque à m’autoproclamer Zébulon ou Saturnin.

Il y a toujours défendu une certaine scène française, non officielle, dégagée des bronches, dégagée aussi des médias pour des raisons diverses, et parmi laquelle votre groupe Eiffel, tout comme bien d’autres, a toujours eu sa place. De split annoncé en rumeurs diverses, rien n’était moins sûr que d’écouter un jour un successeur à "Tandoori", qui soit dit en passant m’avait laissé une impression fugace, aussi  fut-ce une bonne surprise de voir arriver par la poste en voie de privatisation votre dernier opus en date « A tout moment» que Chapi-Chapo    ( chabado ) s’empressa d’écouter avant de m’en faire livraison.

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Dans le 2ème titre de l’album on vous entend , épaulé par Bertrand Cantat que vous avez eu la bonne idée de faire resurgir du néant dans lequel il croupit depuis ce jour noir de Vilnius, prophétiser avec une conviction que j’aimerais partager : « A tout moment la rue peut aussi dire non » : optimisme béat ou sincérité viscérale, ou les deux à la fois ? Voilà sans doute la faiblesse impardonnable qui fait dire à certain magazine au sujet de votre travail : « …un groupe bloqué dans sa douce adolescence ».  Peu enclin à penser que l’adolescence soit d’ailleurs aussi douce que ça, je préfère quant à moi y voir une constance dans la révolte, une fidélité dans le refus, une intégrité dans l’insubordination à faire pâlir de honte, entre autres, un Renaud qui vomit ses années prolétaires ou un Aubert, ex- rebelle pré-pubère des lignes téléphoniques, désormais occupé à roter ses sandwiches au foie gras avec ses copains enfoirés.

Et puis ce serait faire fi de vos textes, Romain. Une manière insolite de mélanger chèvre et chou, sans les ménager. Des images et des juxtapositions incongrues qu’on ne retrouve guère que chez un Dominique A, autre figure à part célébrée ici, avec le respect dû aux paroliers qui choisissent d’écrire dans la marge plutôt que de se répandre inutilement sur un papier bien souvent trop bien quadrillé.

Tenez, c’est dans « Je m’obstine », sommet de l’album débuté sur une clarinette ( ou hautbois ? ) à la Tanita Tikaram avant de se poursuivre en « Tostaky » de l’idée fixe, lorsque la guitare acoustique au scalpel en ouverture laisse le champ libre à ces saturations qui vous plaisent tant. On peut y entendre entre autres ces tournures pour le moins étranges : « Avant que les tables ne tournent au vinaigre », ce qui me plait assez, ou encore « Avant que les portes ne claquent des doigts », ce qui me plait encore davantage, ou enfin « Et les dictatures sybillines éventreront les millénaires », qui m’enchante carrément. Dominique A doit l’apprécier lui aussi, qui convoque les sybarites dans l’un des titres de « La musique », à croire que vous vous êtes ( ou presque ) donné le mot, ou plutôt les mots. Et puis quand ce ne sont pas les vôtres, ce sont ceux de François Villon dans le vibrant « Mort j’appelle », ou une évocation de Buzzati et de son « Désert des Tartares » subtilement glissé dans le texte, mais sans en faire un fromage.

Votre collègue Thomas Boulard de Luke a confessé récemment en avoir un peu marre de monter sur scène devant un public attendant que « ça envoie du bois ». J’aime beaucoup l’expression, et Thomas sait de quoi il parle pour avoir récemment sur les dernières productions du groupe non seulement envoyé du bois mais procédé aussi à l’abattage des arbres, dans un exercice frisant parfois le parfait bûcheronnage.

Il me semble que malgré un son parfois sévèrement burné, après tout merde Eiffel est un groupe de rock ! on ne saurait vous faire le même reproche puisque vous n’avez pas omis d’écrire des chansons, ce qui avouons-le est bien la moindre des choses pour quelqu’un qui écrit des chansons, mais n’est plus monnaie courante chez beaucoup de vos congénères qui pensent pouvoir planquer indéfiniment leur absence d’inspiration derrière sinon un style, du moins une posture ( dernier exemple en date, une fille à papa qui s’imagine qu’à hurler de façon approximative derrière un micro elle fera oublier Janis Joplin…). Avec en prime de belles intros à la guitare sèche par endroits, mais ça je l’ai déjà dit.

Pour finir, cher Romain, je ne saurais trop vous recommander de faire appel à un conseiller EDF pour les factures d’électricité d’Eiffel en fin de mois. Comme dirait un ami sumophile ( mais non chiraquien, c’est déjà ça ) , ça doit douiller. Par contre je vous déconseille la gamme des produits basse tension, incontournable ces temps-ci, elle n’est visiblement pas adaptée à vos besoins.

Bien à vous

Ch.M

Publié dans MUSIQUE

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